L'Atlantique Nord à l'aviron
Les rames d'Anne Quéméré domptent l'Atlantique Nord
Par Jean-Louis Touzet - Libération Août 2004
...«Il y a des dingues partout.» Il convient de posséder une passion immodérée pour la haute mer avant de se lancer dans un défi étourdissant qui chavire ceux qui n'ont pas le pied marin. Car on ne rame pas pendant 87 jours et 12 heures sans se questionner sur sa nature impudente. «Je me disais qu'il y a des dingues partout», confiait-elle en s'amusant d'elle-même, peu de temps avant son départ. Ne nous trompons pas : Anne Quéméré est d'un tempérament froid. Elle donnait de la société d'aujourd'hui un portrait assez peu avantageux, où les héros se trouveraient sous les sabots d'un cheval : «On n'impose pas au public ses grands hommes, celui-ci doit être libre de choisir. Je ne suis pas en train d'expliquer que je suis quelqu'un de bien. Peut-être qu'au fond je me suis trompée d'époque ?»
Mademoiselle rame naturellement, comme Mme de Sévigné écrivait, étant entendu que la Finistérienne avait déjà traversé l'Atlantique Sud en 2002-2003. On se fait des idées fausses sur les héroïnes maritimes. Il ne leur pousse pas d'écailles. Et elles n'ont pas de branchies. Anne, par exemple, ne rame pas sur le dos des baleines, car, d'abord, on dérape facilement et, du coup, cela rallonge la route (6 450 km, quand même). C'est une femme distinguée, très franche, aux yeux clairs, plutôt de grande taille, fort désintéressée et, du coup, peu au fait des choses de l'argent. Elle a souvent souligné qu'elle n'avait «rien à vendre». On la croit bien volontiers, tant il est possible aujourd'hui de faire de la réclame sans risquer sa vie sur une mer hostile et rageuse. C'est d'autant plus méritoire que l'aventure se consommerait plutôt en conserve. Presque au bain-marie...